Apsytude > Mes soucis > Moi et les autres > Quand l’école blesse : le cauchemar du harcèlement

Le harcèlement scolaire est une forme de violence qui peut être verbale, physique ou psychologique qui est répétée et qui se produit dans un contexte scolaire. Ce type de violence peut donc se retrouver à l’école, au collège, au lycée ou même dans le cadre des études supérieures.

Les victimes de harcèlement vivent une souffrance importante et se retrouvent la plupart du temps très isolées. Les conséquences de telles violences subies peuvent être très graves et avoir des répercussions importantes sur le quotidien des victimes.

Nous savons aussi que vivre du harcèlement laisse des cicatrices et peut parfois être un réel traumatisme qui aura des répercussions des années après. C’est aussi pour cette raison que les psychologues sont présents pour apporter un soutien et un accompagnement face à ces difficultés.

Dans cet article, nous allons présenter le témoignage de Théo, 26 ans, qui a consulté une psychologue aux Happsy Hours, et qui est en thèse et enseignant à l’université. Il a été victime de harcèlement lorsqu’il était au collège et il nous raconte ici son histoire, son vécu et la façon dont il s’est construit en tant qu’adulte après tout ça.

Quand est-ce que ça a commencé ?

Théo : « Aussi loin que je puisse penser, j’ai toujours un peu eu des problèmes à l’école. Dès le primaire il y avait des élèves qui se moquaient de moi, parce que j’étais un peu efféminé.

Mais le moment où ça a vraiment commencé à m’affecter, c’était au collège, à partir de la 4ème. J’étais un peu fragilisé parce que mes parents s’étaient séparés quelques années avant. Ça a commencé avec des rumeurs comme quoi j’étais homo. Moi c’était le moment où je découvrais complètement ça justement, je ne savais même pas vraiment ce que c’était, et du coup j’ai du me défendre face à ça. C’était vraiment des attaques. Il y avait des gens qui venaient me demander : « Mais c’est vrai que t’es homo ou pas ? », « Y’a machin qui m’a dit que t’étais homo ! ».

Et puis en plus de ça, il y avait des moqueries : « Théo, il aime pas trop faire du sport », « Théo, il traine tout le temps avec des filles », les gros clichés. Enfin, il se trouve que ça s’est vérifié mais moi je n’étais pas du tout en état de recevoir ce choc-là. Déjà, j’étais très angoissé et pas très bien à cette période. Et puis, j’étais un peu gothique et j’avais un style un peu provocant qui ne plaisait pas, je paraissais fragile donc ça a du jouer.

Je me souviens qu’on avait un travail à faire en arts plastiques et il fallait peindre des nuances de rouge. Moi j’avais fais des formes et les gens lisaient « HOMO ». Du coup c’est parti de ça, les gens ont rigolé et je ne sais pas pourquoi ça a pris des proportions énormes. Il y avait des mots qui circulaient dans la classe avec des insultes homophobes.

Et puis, il y avait un garçon en particulier qui était violent. Il se moquait systématiquement de moi, il savait vraiment appuyer là où ça faisait mal. Il me regardait très bizarrement en cours et par exemple quand je mettais mon stylo dans ma bouche, il me disait « Mais non Théo, pour sucer c’est comme ça… ». Et puis il me faisait très peur parce qu’il était très violent.

Donc dans mes souvenirs, c’est à partir de ce projet d’arts plastiques que les gens se sont plus lâchés par rapport à ça. C’est comme si ça leur avait donné une justification. Les gens avec qui j’étais commençaient eux aussi à se moquer donc ça devenait vraiment difficile.

Et puis en 3ème, j’ai vu une psychologue car mes parents ont vu que j’étais mal, ils ne savaient pas pourquoi mais ils m’ont poussé à aller voir quelqu’un ».

Qu’as-tu ressenti à cette période là ? Quelles étaient tes émotions et tes pensées ?

Théo : « Ça a transformé ma vie. Je n’arrive toujours pas à comprendre comment mes parents ont pu ne pas s’en rendre compte. Ça s’est traduit par de l’angoisse. J’étais super angoissé. Je me réveillais le matin et je n’étais vraiment pas bien, j’étais archi déprimé, j’avais envie de pleurer tous les matins dès que je me réveillais. C’était un peu la dépression.

Je faisais des cauchemars et souvent je me réveillais la nuit pour vérifier que la porte était bien fermée. J’avais beaucoup d’idées noires aussi. J’ai pas vraiment pensé au suicide mais quelque part la mort était omniprésente. Même si je n’ai pas pensé à la concrétiser, il y avait vraiment cette idée que j’étais déjà mort dans ma tête. J’étais complètement désolé. Et puis je ressentais un gros stress à l’école.

Je fuyais les moments où tout le monde se retrouvait dans la cours. J’allais m’enfermer au CDI et je passais toutes les heures libres que j’avais pour lire des trucs, être le plus isolé possible avec des gens qui étaient comme moi, qui lisaient et qui n’étaient pas trop violents. Mais parfois, même au CDI on venait m’attaquer ».

Tu n’as pas fait la démarche d’en parler à tes parents et à tes proches ?

Théo : « Non, je ne voulais pas en parler. Maintenant que je suis prof, je me rends compte à quel point ce n’était pas la bonne solution. Mais, quand on est dedans, à 14 ans, on veut juste que ça cesse ».

Qu’as-tu fait pour te sortir de tout ça ?

Théo : « J’en ai parlé une fois à une prof d’italien. Je me suis effondré, c’était vraiment fort. Elle a bien entendu, mais elle n’a pas agi : elle n’a mis au courant personne et je n’ai pas eu de retour après. Elle n’a pas mesuré le danger qu’il y avait, ni mon mal-être. Parce qu’il y avait quand même un danger, j’étais vraiment mal et je pense que ça pouvait mal tourner pour moi.

Sinon j’ai essayé de me rapprocher de gens cools, que j’aimais bien. Je n’en ai pas trouvé beaucoup à ce moment-là. Je trainais avec des personnes plus jeunes, qui étaient un peu gothiques comme moi, un peu rebelles. Avec elles, je trouvais un peu plus de force et j’avais un peu plus de valeur à leurs yeux. Avec ces personnes on essayait de relativiser, de se moquer, de vider notre sac pour se sentir un peu mieux.

A partir du lycée tout a changé. J’attendais le lycée comme Le Messie car j’associais le problème au collège. Pour moi, le lycée ça allait être la libération parce que mon frère était là-bas et je voyais que c’était pas du tout pareil. Je me rappelle qu’à la rentrée y’a des gens qui sont venus me parler pour me demander comment je m’appelais, ce que je faisais dans la vie, etc. Et moi j’avais peur, j’étais hyper froid et distant parce que je pensais qu’ils me voulaient du mal, qu’ils allaient me critiquer. Cette histoire m’a rendu complètement parano, il faut dire que je n’avais pas rencontré des gens gentils avec moi durant le collège. Le lycée a été une forme de rédemption pour moi, j’ai pu m’y émanciper par le savoir et l’engagement ».

Et maintenant que tu es adulte, quelles traces reste-t-il de cette période de harcèlement ?

Théo : « Ça laisse beaucoup de traces.

Déjà un manque de confiance énorme. Je pense que c’est ce qui est le plus flagrant. La difficulté d’entreprendre des choses, de se sentir légitime. Il y a quelque chose qui fait que je me sens toujours ridicule, que j’ai peur de l’être ou peur de ne pas être dans la norme. J’ai toujours eu peur d’être différent et que ça me pose problème. Et c’est quelque chose que je ressens toujours aujourd’hui.

Il y a l’angoisse aussi, le fait d’être susceptible, et d’être un peu parano aussi. J’ai souvent l’impression que les gens sont mal intentionnés. J’ai peut-être aussi une propension plus élevée que les autres à être déprimé, plus fragile et puis j’ai souvent des images qui me reviennent en tête

Par rapport à la sexualité aussi, le fait d’avoir été harcelé là-dessus a fait que j’ai mis très longtemps à l’assumer, et c’est encore compliqué aujourd’hui ».

Qu’est-ce-que ça représente pour toi d’en parler aujourd’hui ?

Théo : « Ce n’est pas facile, je me suis un peu blindé avant de venir. J’appréhendais ce matin mais je me suis dit qu’il faut que la parole se libère, car c’est quelque chose qui peut arriver à tout le monde.

Le harcèlement n’empêche pas de devenir quelqu’un avec des responsabilités, et de faire ce qu’on a envie. Finalement, on peut réparer beaucoup de choses aussi. C’est ça aussi qui a guidé mon choix de devenir enseignant. Au-delà de transmettre un savoir, mon but c’est aussi que dans ma classe tout se passe bien, que tout le monde soit à égalité, que ça file droit, et que je puisse apporter une pierre au bien-être des étudiants« .

Si tu avais un message à transmettre aux personnes victimes – ou ayant été victimes – de harcèlement, quel serait-il ?

Théo : « Je n’ai pas de message universel à faire passer parce que je pense qu’on vit tous les choses différemment. C’est compliqué de donner des conseils.

Le seul conseil que je peux donner c’est d’arriver à en parler aux bonnes personnes car tout le monde n’est pas prêt à entendre ça. Les profs, certains CPE, si vous vous sentez en confiance… Il ne faut pas oublier que, dans les équipes scolaires, l’anonymat et la confidentialité sont vraiment respectés. Je me souviens d’avoir eu peur des représailles. Mais maintenant que je vois un peu comment ça se passe, il y a vraiment beaucoup de bienveillance et il ne faut pas hésiter même si c’est difficile de solliciter le personnel !

Je dirais qu’il faut aussi essayer de tendre la main, malgré les a-priori et les angoisses, à des gens qui pourront comprendre. Essayer de se faire des amis, de communiquer avec les autres. Faire du sport, faire des activités à côté, des choses qui sont valorisantes pour soi. Il y a un moment donné où on reprend confiance, on sort la tête hors de l’eau ».

Si tu avais un message à transmettre aux harceleurs, que dirais-tu?

Théo : « Bizarrement je comprends aussi. Quand on est jeune et qu’on a 14 ans, y’a autant de raisons d’être harceleur que de se faire harceler. Je peux comprendre cette attitude-là aujourd’hui sur un versant scientifique et sociologique.

Je leur dirai qu’ils n’ont pas besoin de ça pour se valoriser. Qu’ils peuvent très bien se rendre utiles pour des choses qui les grandiront eux ,ou la société. Je leur dirai aussi de ne pas perdre de vue que leurs sensibilités sont aussi celles des autres, et qu’ils ne se rendent pas compte de ce à quel point ils détruisent. Mais je leur dirais également qu’il n’est jamais trop tard pour se faire un peu plus intelligent« .

Merci à Théo d’avoir accepter de témoigner.